Le don de l'être

Publié le par Jahman

Le don de l'être
Etre = don L'être a pour essence l'esprit. Donnons-nous en esprit ; se donner, voilà la méthode infaillible.

 

Il s'agit d'inverser notre mode d'être. Là où nous vivons pour nous-mêmes, c'est-à-dire en prenant, en s'accaparant, en collectionnant, en accumulant, il nous faut inverser ce processus et donner, nous donner. Pour comprendre – et surtout pour mettre en pratique – le don de l'être, le don de soi-même, le don spirituel, on peut analyser ce don à partir de la notion de temps, d'instant et d'éternité.

Mais sachez que l'analyse et la compréhension discursive sont encore des collections de connaissances, des accaparements, c'est-à-dire un vécu sur le mode « avoir ».

Habituellement nous accaparons le temps, nous nous servons du temps pour soi-même, nous accumulons des objets, des connaissances, des idées, des mots, et finalement des données-de-conscience, donc du temps, dès notre réveil matinal. La conscience s'allume et nous commençons à accomplir sans relâche ce travail d'accumulation objectale, de préhension temporelle. Nous prenons le temps pour notre usage personnel. C'est avec l'esprit de profit que nous vivons. Et cet esprit ne fait que prendre, que tirer à lui tout ce qui passe à proximité de son orbite d'attraction. Pour cela, il reçoit le soutien de nos sens – en particulier la vue et l'ouie. Ces deux sens sont essentiellement des sens de l'avoir car ils interceptent leurs informations respectives : images et sons pour l'esprit qui s'en sert à son profit.

Habituellement nous voulons saisir le temps, nous en servir, (alors que nous devrions le servir), nous accaparer l'instant fugace, le retenir, le garder pour soi . Nous retenons le temps dans notre conscience et, par là nous lui faisons violence. Et c'est bien là tout notre drame. L'instant ne s'attrape pas. Il est impossible de retenir l'instant. Tout ce que nous parvenons à garder c'est une impression, une idée, un souvenir, mais l'instant, lui, est passé à tout jamais. Il en va de même pour les images et les sons mais l'illusion est plus grande et nous gardons un semblant de réalité – la constitution du sujet conscient – avec la vue et l'ouie. Ces objets sensibles – images et sons – peuvent au contraire du temps être accaparés et accumulés dans la conscience bien qu'il s'agisse là que d'une illusion, d'un irréel (névrose, aliénation). Car, réellement, l'image que nous percevons est tout aussi fugace que le temps lui-même. Les images et les sons, les objets visuels et sonores sont eux aussi soumis au temps. Les objets sensibles sont avant tout des objets temporels, en devenir, et les capter, les nommer, les prendre, les avoir, les connaître, c'est les couper de leur flux temporel, c'est les couper de leur origine, de leur milieu, de leur fond, bref de leur existence propre. Prendre ces objets sensibles c'est leur retirer leur existence et se l'approprier. En nommant on veut prendre la puissance des objets ; on veut retirer de l'énergie et du pouvoir par la captation des objets intellectuels et sensibles. On veut se nourrir, comme le vampire, de l'énergie que contiennent ces objets ; mais nous ne faisons que les tuer, sans rien retirer de leur substantielle moelle, car celle-ci ne peut se prendre de force, avec violence. Il faudrait que l'objet lui-même se donne, donne son énergie, son existence pour que l'on en retire une énergie, une puissance. Mais vouloir lui soutirer avec violence ne mène qu'à le tuer, et, finalement, en se tue avec lui… Prendre ces objets sensibles – images et sons – c'est intégrer ces objets à notre existence – c'est le sens d'appropriation : passage d'une existence à une autre, transmission d'un contenant à un autre. L'information, le contenu est transvasé de l'autre au même. Les objets visuels et auditifs qui étaient sous l'emprise du temps passent alors sous notre propre emprise, sous notre propre temporalité, sous notre conscience. Or, la conscience doit demeurer vide, c'est un miroir qui ne fait que refléter la réalité, mais ne garde rien. Son but n'est pas de se remplir de temps mais d'observer, de voir et d'entendre. La conscience se solidifie, et meure, en prenant ces objets alors qu'elle est au départ un verbe, un flux, parmi les flux temporels que sont les objets qu'elle observe. L'activité de la conscience est d'observer, c'est ce qu'on appelle aujourd'hui méditer.

 

Par l'observation, ou méditation, ou concentration, nous allons découvrir par nous-même que nous prenons sans cesse le temps, que nous cherchons à accaparer le temps, à saisir l'instant, à retenir ce qui ne peut l'être, à retenir ce temps qui semble nous fuir. Et nous allons apprendre à le laisser fuir tranquillement.

  1. Observons attentivement : Fermons les yeux et écoutons. ECOUTER ! Pour écouter, il faut d'abord taire la parole intérieure. En écoutant, en faisant attention aux sons, bruits, proches et lointains, nous faisons spontanément silence.
  2. Observons sur la durée, écoutons attentivement pendant 5 minutes, les yeux fermés, sans relâcher l'attention, mais en relâchant la tension. Nous constatons que la parole intérieure, le discours reprend inconsciemment. Persévérons dans notre écoute attentive et peu à peu le silence s'installe. Nous commençons à lâcher-prise. Ce bavardage incessant n'est rien d'autre qu'un refus de lâcher prise. Faire silence c'est se donner à l'altérité.
  3. En pratiquant quotidiennement, toujours de la même manière, le plus souvent possible, l'écoute attentive, nous nous apercevons qu'habituellement nous sommes figés sur notre position, fermé à l'autre, et nous cherchons à transformer le temps en conscience, c'est-à-dire en temporalité subjective. Nous cherchons à pérenniser ce qui est « mien » ce qui m'est « propre », ce qui engendre un souci permanent de soi. En effet, nous nous soucions constamment de nous-mêmes et cela est inconscient.

 

La méditation permet de nous distancier de ce souci de soi, de prendre du recul vis-à-vis de notre rapport au temps et au monde en tant qu'il est en devenir.

La voie de libération proposée par toutes les religions n'est rien de moins qu'un retournement de notre mode d'être : plutôt que d'appréhender le monde, il s'agit d'y renoncer – non pas pour le simple fait d'y renoncer mais pour que notre puisse se donner. Si cette dernière phrase est au passif c'est que ce n'est pas nous qui, volontairement, nous donnons. Ce don d'être, cet être sur le mode « don » se fait de lui-même dès lors que nous renonçons à prendre le monde, le temps. Et cela est une merveilleuse libération. Pour que l'être se donne il faut d'abord renoncer à prendre. En cessant de vouloir avoir pour soi, nous pouvons être pour l'autre. Le renoncement nous rend disponible, ouvert et prêt à donner. Car l'être se donne de lui-même sans l'obliger ou le contraindre, sans violence. Le don est doux, le « prendre » est violent. En effet, c'est le propre de l'être de se donner ; son essence est le don. L'être est l'esprit et l'esprit est à la fois un don et l'acte de se donner. L'esprit donne et se donne dans ce don même. L'être n'est rien d'autre que ce processus spirituel, cette création de l'esprit. : esprit se donnant dans son don d'être.

Par l'écoute attentive, nous prenons nos distances vis-à-vis de notre conscience en tant qu'elle est bavardage intérieur, bruit. Il n'y a plus qu'une observation du monde extérieur et du monde intérieur. Cela peut prendre plusieurs années ; plusieurs mois si la pratique est assidue. Le silence s'est fait mais nous n'avons pas conscience de ce silence : nous le sommes. Ce que la conscience sépare, l'observation le joint. Là où la conscience nous séparait du temps en se l'accaparant, l'observation nous uni au temps en permettant à l'être de se donner.

En définitive, il s'agit de se vider, de se dépouiller, de renoncer pour que – passivement, spontanément – sans volonté propre, sans intention personnelle, l'être s'ouvre et se donne, l'esprit se libère. Nous ne faisons plus qu'un avec le réel, le temps.

Publié dans Qui suis-je

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